Laval, 1er octobre 2013 – La Table de concertation de Laval en condition féminine (TCLCF), regroupement régional de défense collective des droits des femmes qui lutte pour une plus grande justice sociale est préoccupée par l’impact que pourrait avoir la Charte des valeurs québécoises sur les femmes, particulièrement celles issues de l’immigration. Bien que la TCLCF se positionne clairement pour la laïcité de l’État, la Charte proposée par le gouvernement nous apparaît comme une source de confusion et de division plutôt qu’un outil d’intégration et de solidarité.
Égalité ou stigmatisation et exclusion?
L’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes est à la base de la mission de la TCLCF qui regroupe une pluralité de groupe œuvrant dans différents secteurs auprès de femmes de diverses origines. En ce sens, nous devrions nous réjouir de l’adoption d’une Charte des valeurs québécoises présentant l’égalité entre les femmes et les hommes comme étant l‘un des fondements centraux de sa démarche et l’un de ses objectifs. Or, les orientations présentées dans la Charte suscitent certaines inquiétudes. En effet, l’orientation visant à encadrer le port de signes religieux ostentatoires pour le personnel de l’État – une orientation qui, à mots couverts, vise les femmes de religion musulmane portant le voile - ne pourrait-elle pas être source d’exclusion et de discrimination pour ces mêmes personnes qu’elle prétend inclure? Si le port du voile provoque un certain malaise dans la société québécoise, parce que souvent associé à un symbole de l’oppression des femmes, cette vision est loin de faire consensus et peu de femmes et de groupes de femmes se sentent prêts à adopter des positions claires en la matière, une situation que nous sommes à même de constater au sein même de notre regroupement. En effet, plusieurs s’inquiètent de la possibilité que l’interdiction d’une telle pratique entraine davantage de stigmatisation et d’exclusion, notamment des femmes de la diversité culturelle et religieuse qui font déjà partie des groupes les plus marginalisés et relégués au bas de l’échelle dans des situations de précarité et d’appauvrissement.
L’interdiction cause plus souvent qu’autrement un repli identitaire et une exacerbation des pratiques plutôt qu’une ouverture à ce qui est imposé. Ce qui nous fait craindre que les femmes visées par cette interdiction pourraient quitter leur emploi ou être exclue de certains secteurs d’emploi à cause de leurs croyances et pratiques religieuses, minant ainsi leur autonomie économique, levier central de l’émancipation des femmes.
En tant qu’organisme féministe, la TCLCF croit en la capacité des femmes de choisir par et pour elles-mêmes et ce, dans toutes les sphères de leur vie. À cet égard, dans le débat sur cette Charte, nous nous opposons à l’utilisation du discours féministe sur l’égalité des sexes pour justifier un discours politique axé sur la crainte de la diversité culturelle qui ne fait qu’alimenter l’intolérance et la xénophobie envers la population immigrante. Un discours qui divise les femmes et la population québécoise sur un sujet qui nécessite un réel débat de société dans un climat de solidarité et de respect. Nous nous opposons également à tout autre facteur d’exclusion sociale susceptible de favoriser des phénomènes de ghettoïsation défavorables aux femmes et qui seraient, par conséquent, contraires au principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Nous croyons que la diversité culturelle apportée par les communautés culturelles nouvellement arrivées ou installées de longue date devrait être vue comme une richesse dans le Québec d’aujourd’hui et non comme une menace.
L’égalité entre les femmes et les hommes : des discriminations systémiques qui demeurent
À notre avis, la Charte des valeurs québécoises fait fausse route en s’attardant prioritairement aux signes religieux comme menace à l’identité québécoise plutôt qu’en s’attaquant aux causes profondes qui font obstacles à l’inclusion des personnes issues de l’immigration. Le gouvernement semble ainsi viser davantage les individus et les symboles plutôt que les systèmes d’oppression qui perpétuent les inégalités entre les hommes et les femmes et entre les femmes elles-mêmes. Cela en fait un outil de division et de potentielle discrimination plutôt qu’un lieu de réflexion pour construire ensemble une laïcité inclusive et solidaire. Si l’égalité est réellement le souci premier de ce gouvernement, pourquoi n’agit-il pas sur les causes profondes qui perpétuent l’oppression et les discriminations envers les femmes?
Nous tenons à rappeler qu’il existe, dans notre société québécoise qui se veut égalitaire, de grandes inégalités persistantes envers les femmes notamment leur situation de vulnérabilité et d’appauvrissement, les violences qui s’exercent contre elles de même que leur faible représentation politique. L’égalité de faits est loin d’être atteinte dans la société québécoise et nous sommes bien loin d’une réelle justice sociale dans le présent contexte où notre filet social qui ne cesse de se dégrader, entraînant d’importantes disparités et inégalités au sein de la population.
Nous rappelons également que, pour certaines femmes, le chemin de l’égalité est plus ardu car elles doivent faire face à d’autres systèmes d’oppression liés à la couleur de leur peau, à leur origine ethnique, à leur appartenance religieuse, à leur orientation sexuelle, à leur handicap ou à leur âge pour ne nommer que ceux-là. La question de la laïcité de l’État n’est pas le seul obstacle que les femmes rencontrent dans leur quête d’égalité. Et si la laïcité est un bon outil pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, elle ne garantit en rien l’égalité.
Inclusion et intégration : notre priorité
La fin des inégalités et des discriminations envers toutes les femmes est le moteur même de l’action de la TCLCF. Il nous apparaît important de réitérer, comme nous l’avons fait en 2007 lors de notre intervention à la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, que l’égalité entre les sexes va de pair avec l’inclusion. Elle est une valeur fondamentale de notre société qui doit se traduire par une entière participation de toutes les femmes à la vie sociale, politique, économique et démocratique. Ainsi nous croyons que l’intégration sociale passe incontestablement par l’accès à des conditions d’existence qui favorisent l’autonomie économique de toutes les femmes ainsi que leur émancipation et leur pleine participation citoyenne.
Ces défis d’intégration et d’accès à l’égalité économique pour les femmes immigrantes ou issues de la diversité culturelle sont particulièrement criants à Laval où l’accroissement de la proportion de la population immigrante est la plus rapide au Québec. En dehors de Montréal, Laval est la région dont le poids de la population immigrée est le plus grand en importance (20,2% en 2006) et de plus en plus de communautés culturelles sont présentes sur le territoire. Dans un tel contexte, ce dont la population et les institutions lavalloises ont besoin, à l’instar de l’ensemble du Québec, ce sont des outils qui solidarisent, qui favorisent le « bien vivre ensemble » ainsi que l’intégration des personnes de tout horizon. Nos membres ressentent à cet égard, le besoin d’avoir un temps de réflexion au sein de leurs organisations et d’avoir un espace à la TCLCF pour échanger sur la laïcité, les moyens de l’atteindre et ses impacts sur les femmes. Cette démarche est cruciale car les questions soulevées par l’application de la laïcité dans les institutions publiques sont complexes et leurs ramifications touchent tous les membres de la société québécoise. Nous avons besoin d’outils favorisant l’inclusion, particulièrement des femmes qui vivent des discriminations à la fois de par leur sexe et de par leur origine ou leurs croyances, ce que la présente Charte des valeurs québécoises n’incarne pas pour le moment.
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